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Le caractère de la conservation intégrée

Meurtrière de la crypte souterraine de la banque

"« Un édifice qui ne possède aucun mérite artistique notable mais remonte à une époque éloignée ou consiste en fragments admirables assemblés au fil du temps. »"

D’après Sir John Summerson

Par

Romas Bubelis

Les bâtiments et l'architecture, Réutilisation adaptative

Date de publication :11 sept. 2008

Photo : Meurtrière de la crypte souterraine de la banque

C’est dans son traité de 1947 intitulé « The Past in the Future », que l’architecte et historien John Summerson (1904-1992) offre cette description d’un ancien édifice. Le présent article a pour sujet les vieux monuments d’Europe, qui valent d’être protégés simplement en raison de leur grand âge. Mais il s’applique aussi aux bâtiments modestes transformés au cours de leur existence par ajout, démolition, altération et revêtement. Dans le passage ci-dessus, en rapprochant « fragments admirables » et « fil du temps », Summerson fait allusion au caractère unique des édifices anciens auxquels on attribue une nouvelle fonction.

Dans la société actuelle, il est rare qu’on protège un édifice ancien seulement en raison de son âge ou de son caractère. La préservation architecturale tend plutôt aujourd’hui à dépendre des possibilités de conservation intégrée. Elle se justifiera par des raisons économiques ou découlant de la contribution des édifices réaménagés à la durabilité de l’environnement. Soucieuse de sauver les anciens édifices par tous les moyens, la communauté vouée à la conservation a adopté comme valeurs essentielles la viabilité économique et l’utilité, en particulier parce que les propriétaires de tels édifices se voient souvent obligés de suivre ce genre de raisonnement. Cependant, c’est le caractère esthétique de ces lieux qui est au cœur de leur valeur patrimoniale.

Lors de la construction d’un nouvel édifice, l’objectif est de réaliser sa fonction clairement et telle que prévue, tout en se pliant aux contraintes architecturales. Dans le cas de la conservation intégrée, c’est l’inverse. Complexité, contradictions, nuances et superposition des idées sont les qualités architecturales qui définissent la conservation intégrée. D’un point de vue esthétique, la réussite d’un projet de conservation intégrée consiste souvent à retenir des caractéristiques individuelles d’un édifice et à réinventer leur contexte pour assurer la réalisation des nouvelles fonctions, tout en préservant un souvenir évocateur de leur ancienne existence.

Un bel exemple d’une telle permanence architecturale est le groupe de bâtiments situé à l’angle des rues Adelaide Est et George, à Toronto. Cet ensemble, composé de cinq édifices imbriqués l’un dans l’autre, dont deux sont reconnus comme lieux historiques nationaux, jouit de la protection d’une servitude accordée par la Fiducie. À un angle se trouve l’édifice néoclassique de la Bank of Upper Canada, construit en 1827 (par ailleurs, siège du Pacte de famille et objectif de la tentative de rébellion de William Lyon McKenzie). Ce bâtiment géorgien à trois pans et à deux étages, en pierre calcaire, est probablement la création de William W. Baldwin, banquier et architecte amateur, en collaboration avec Francis Hall, architecte et entrepreneur. Le portique à colonnes doriques, ajouté en 1843 par l’architecte John Howard, témoigne de la grandeur de cette institution qui, de 1822 à 1832, était la seule et unique banque du Haut-Canada. Incorporée aux parois du sous-sol se trouve une arcade en voûte provenant d’une structure d’origine incertaine datant d’avant 1820, fragment archéologique des premiers jours de Toronto. Le côté ouest de cette crypte comprend encore une meurtrière aménagée dans un mur de pierre de grande épaisseur. Quatre colonnes classiques en fer supportent la travée principale du rez-de-chaussée de la banque. Les battants de sûreté en bois massif, cloutés de fer, s’emboîtent parfaitement entre les piliers du foyer principal, encadrant une porte géorgienne d’un goût exquis surmontée d’une imposte en éventail à meneaux délicats. Le locataire actuel est une société de haute technologie. Mais le local conserve encore le souvenir de la banque d’origine, dans un cadre qui harmonise le goût raffiné, la solidité et le rang social de l’élite politique d’alors, aux impératifs d’un lieu sûr et invulnérable du Toronto d’antan.

Battants de sûreté de l’entrée principale de la banque

Photo: Battants de sûreté de l’entrée principale de la banque

Fragments d’une construction antérieure

Photo: Fragments d’une construction antérieure

Bank of Upper Canada, Toronto

Photo: Bank of Upper Canada, Toronto

À l’angle opposé du même ensemble se situe une maison géorgienne, construite en 1833 pour James Scott Howard, premier maître de poste de Toronto, dont elle était le bureau. Fait exceptionnel, l’édifice est encore aujourd’hui un bureau de poste, auquel on a ajouté un élément muséologique et interprétatif. Entre les deux s’élève le De La Salle Institute, groupe de bâtiments victoriens construit en 1870 et qui, au fil du temps, a absorbé les deux propriétés adjacentes en étendant son troisième étage et son comble brisé par-dessus la banque et le bureau de poste.

Au cours du siècle suivant, ce complexe ainsi unifié a abrité un pensionnat catholique, l’administration du Toronto Separate School Board, un immeuble-enveloppe appartenant à la Christie Brown Biscuit Company et enfin, le quartier général et l’usine de transformation de la United Farmers of Ontario Co-operative Company Ltd. Le complexe a failli être condamné dans les années 1970 avant d’être réaménagé en local administratif.

La complexité archéologique et architecturale du groupe de bâtiments de la Bank of Upper Canada confère une qualité unique à son architecture. Structure jadis imaginée, conçue et bâtie, puis utilisée parfois à tort ou à raison, négligée, elle a été redécouverte et réhabilitée. Elle s’est ainsi empreinte de diverses significations associatives et symboliques, selon les époques de son existence. Grâce à la protection de la servitude de la Fiducie, l’édifice gardera son caractère architectural complexe composé de fragments admirables.