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Rejeter le passé

M. Smallwood a calculé qu’en préservant la maison Wallis (voir photo ci-dessus), il évitait d’envoyer l’équivalent de 500 000 boîtes bleues de débris dans les décharges.

Photo : M. Smallwood a calculé qu’en préservant la maison Wallis (voir photo ci-dessus), il évitait d’envoyer l’équivalent de 500 000 boîtes bleues de débris dans les décharges.

Par

L.A. (Sandy) Smallwood

Les bâtiments et l'architecture, L'environnement

Published Date: mai 28, 2009

Quand un vieux bâtiment est démoli, nous ne perdons pas simplement une structure. Nous perdons un peu de notre histoire.

Les murs de fondation et le toit de chaque bâtiment sont des produits manufacturés réalisés à partir de l’exploitation des ressources de notre environnement. Lorsqu’un bâtiment est démoli, ces produits sont généralement envoyés à la décharge. Pourtant, de nombreux bâtiments datant d’avant les années 1960 ont été construits à partir de matériaux bien supérieurs aux matériaux utilisés pour les structures plus récentes. Les vieux bâtiments contiennent souvent du bois provenant des anciennes forêts denses. Ce bois n’est plus disponible aujourd’hui et, une fois qu’il arrive à la décharge, il disparaît pour toujours.

Les anciennes fondations étaient souvent construites en calcaire coupé à la main, un procédé nécessitant une main-d’œuvre si importante que même les maisons les plus onéreuses ne peuvent plus s’offrir de nos jours. La liste ne s’arrête pas là. Ces produits (et leurs procédés de fabrication) sont bien trop chers et, dans certains cas, ils ne sont tout simplement plus disponibles.

Pourquoi donc nous débarrassons-nous de nos vieux bâtiments? Pourquoi remplissons-nous les bennes à ordures de matériaux irremplaçables? Les nombreuses raisons avancées généralement sont les suivantes :

  • Esthétique – les styles architecturaux se démodent après 20 ans
  • Économique – il revient moins cher de démolir un bâtiment plutôt que de le rénover afin de répondre à la demande du marché et du code
  • Obsolescence fonctionnelle – les structures de construction particulière (p. ex., les églises) peuvent difficilement s’adapter à d’autres usages
  • Codes du bâtiment – on pense notamment que les codes de prévention des incendies favorisent les bâtiments récents par rapport aux anciens
  • Efficacité énergétique – le désir d’avoir un « bâtiment écologique »

Un travail artisanal comme celui-ci est souvent trop coûteux de nos jours. Par conséquent, nous perdons ces talents. (Voir ci-dessus, l’ancienne résidence de Sir Sandford Fleming – Winterholme – au 309-311, avenue Daly, Ottawa.)

Les deux derniers points de cette liste méritent une attention particulière. Les codes du bâtiment, en effet, changent constamment. On pense habituellement qu’un bâtiment qui n’est plus aux normes, en raison d’un changement du code, n’est plus sûr. Le respect des codes de prévention des incendies est primordial, car la sécurité-incendie est sans nul doute un sujet d’inquiétude majeur. Cependant les vieux bâtiments sont-ils pour autant moins sécuritaires que les plus récents?

Selon une étude récente, des personnes n’ont eu que trois petites minutes pour évacuer un bâtiment en feu sous certaines conditions, contre 17 minutes lors d’un exercice similaire en 1975. Plusieurs raisons peuvent être à l’origine de cette diminution importante du temps d’évacuation, en particulier le mobilier moderne fabriqué à partir de matériaux synthétiques, le remplacement du bois, du plâtre lourd et de la pierre par du plastique, des cloisons sèches et d’autres matériaux synthétiques. De plus, les nouvelles méthodes de construction qui utilisent des charpentes légères, en particulier pour la construction des toits, ont provoqué l’effondrement du toit après environ 23 minutes contre 38 minutes lors d’un exercice en 1985. Par conséquent, il semblerait qu’on puisse sauver un plus grand nombre de vies si les codes visaient premièrement à garantir que le mobilier des bâtiments, les nouvelles méthodes de construction ainsi que les matériaux utilisés respectent un indice minimum de propagation du feu. Ces préoccupations, en effet, semblent jouer un rôle bien plus important pour la sécurité des habitations que l’âge de la structure.

Par ailleurs, la tendance de ces dernières années consiste à concevoir des bâtiments économes en énergie. Cette tendance a eu sans le vouloir un impact négatif sur de nombreuses structures anciennes. Les gens pensent que la création d’un concept écologique implique forcément de faire du neuf. Cependant, la réalité montre que dans de nombreux cas, les constructions anciennes offrent plus de possibilités et peuvent souvent être en bien meilleur état que les nouvelles structures. Un bâtiment de maçonnerie solide bien entretenu, ayant fait l’objet d’un test de dépressurisation peut s’avérer aussi efficace qu’un nouveau bâtiment. Il suffit de boucher les fuites et d’ajouter un isolant. De même, les fenêtres en bois bien entretenues ont une durée de vie indéfinie. Grâce aux nouvelles technologies, il est maintenant possible d’ajouter des contre-fenêtres intérieures, ce qui simplifie la tâche de leur remplacement annuel.

Des châssis de fenêtres en bois restaurés peuvent fournir une valeur R supérieure à des châssis en vinyle ou en aluminium plus modernes. (Voir ci-dessus, le hall d’entrée des appartements Strathcona, 404, avenue Laurier Est, Ottawa).

Des châssis de fenêtres en bois restaurés peuvent fournir une valeur R supérieure à des châssis en vinyle ou en aluminium plus modernes. (Voir ci-dessus, le hall d’entrée des appartements Strathcona, 404, avenue Laurier Est, Ottawa).

Le bois assure une meilleure isolation que l’aluminium ou le vinyle. C’est indéniable. Pourtant, de nombreux bâtiments récents certifiés LEED ont été construits en utilisant des techniques de revêtement extérieur en verre présentant normalement une valeur R = 3,5. En comparaison d’un mur en maçonnerie non isolé présentant une valeur R = 7, il apparaît évident que les murs en verre scellé, dont la durée de vie est relativement courte avant la rupture du joint, ne sont pas la méthode préconisée.

Comment faire pour changer les mentalités qui relèguent tant de nos vieux bâtiments à la décharge? Il est évident que davantage de travail a besoin d’être réalisé afin que les codes du bâtiment reconnaissent les avantages des méthodes de construction et des matériaux traditionnels. Tous les paliers de gouvernement doivent également reconnaître l’importance de préserver les structures existantes au moyen d’incitation fiscale.

La contribution positive sur le plan environnemental que représente la préservation des structures du patrimoine devrait se refléter dans les aides économiques actuelles offertes par les gouvernements du monde entier. Des majorations d’impôts sur l’environnement devraient aussi être imposées à toutes les demandes d’aménagement, démolition comprise. En outre, des crédits d’impôts devraient faire partie du processus de demande de permis pour toutes les structures entretenues et réutilisées (et pour la réutilisation des matériaux de bâtiment). Les règlements de zonage devraient aussi être modifiés, afin de mieux protéger les structures existantes au lieu d’accorder davantage d’encouragement à la démolition. Bien sûr, par défaut, notre position devrait être une opposition systématique à la démolition. Point final. Et non pas le rejet de notre passé.